Milan Kundera Une Rencontre Download

Chambre où elle avait habité à partir de lâge de cinq ans, quand ses parents avaient décidé quelle méritait davoir une pièce pour elle toute seule. La chambre était meublée dun divan, dune petite table et dune chaise. Sur la table, il y avait une lampe allumée qui lattendait depuis tout ce temps. Et sur cette lampe reposait un papillon aux ailes ouvertes ornées de deux grands yeux peints. Tereza savait quelle touchait au but. Elle sallongea sur le divan et pressa le lièvre contre son visage. Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici? milan kundera une rencontre download Lauteur avait tout dabord pensé intituler ce LÂge lyrique. Lâge lyrique, selon Kundera, cest la jeunesse, et ce est avant tout une épopée de ladolescence ; épopée ironique qui corrode tendrement les valeurs tabous : lEnfance, la Maternité, la Révolution et même la Poésie. En effet, Jaromil est poète. Cest sa mère qui la fait poète et qui laccompagne immatériellement jusquà ses lits damour et matériellement jusquà son lit de mort. Personnage ridicule et touchant, horrible et dune innocence totale linnocence avec son sourire sanglant, Jaromil est en même temps un vrai poète. Il nest pas salaud, il est Rimbaud. Rimbaud pris au piège de la révolution communiste, pris au piège dune farce noire. Prononce trois phrases quand Marie-Anne émit un sifflement. Le peintre parlait avec lenteur et se concentrait sur ce quil disait ; il ne lentendit pas siffler. Franz chuchote : Tu peux me dire pourquoi tu siffles? Parce que je déteste quon parle politique, réplique tout haut sa fille. Effectivement, deux hommes debout dans le même groupe parlaient des prochaines élections françaises. Marie-Anne, qui se sentait tenue de diriger la conversation, demanda aux deux hommes sils iraient la semaine prochaine au Grand-Théâtre où une troupe lyrique italienne devait interpréter un opéra de Rossini. Cependant, Alan le peintre sobstinait à chercher des formules de plus en plus précises pour expliquer sa nouvelle manière de peindre, et Franz avait honte de sa fille. Pour la faire taire, il dit quil sennuyait à mourir, à lopéra. Tu ne comprends rien, dit Marie-Anne, en essayant, sans se lever, de taper sur le ventre de son père, linterprète principal est tellement beau! Cest fou ce quil est beau! Je lai vu deux fois et, depuis, je flippe! Franz constatait que sa fille ressemblait atrocement à sa mère. Pourquoi nétait-ce pas à lui quelle ressemblait? Cétait sans espoir, elle ne lui ressemblait pas. Il avait déjà entendu Marie-Claude proclamer des milliers de fois quelle était amoureuse de ce peintre-ci ou de ce peintrelà, dun chanteur, dun écrivain, dun homme politique, et même une fois dun coureur cycliste. Ce nétait évidemment que rhétorique de dîners en ville et de cocktails, mais il se souvenait parfois quune vingtaine dannées plus tôt elle avait dit exactement la même chose à propos de lui en le menaçant en prime de se suicider. Juste à ce moment-là, Sabina entra. Marie-Claude laperçut et savança à sa rencontre. Sa fille continuait la conversation sur Rossini, mais Franz navait doreille que journaliste, mais il ne reste plus beaucoup de temps pour cette pétition. Nous voulons la remettre demain au président. Demain? Tomas pensait au gros flic qui lui avait tendu un texte où il devait précisément dénoncer lhomme au menton proéminent. Tout le monde voulait lobliger à signer des textes quil navait pas écrits lui-même. En loccurrence, il ny a pas besoin de réfléchir! dit son fils. Les mots étaient agressifs, mais le ton presque suppliant. Cette fois ils se regardaient dans les yeux et Tomas saperçut que son fils, lorsquil regardait attentivement, avait la partie gauche de sa lèvre supérieure qui se relevait légèrement. Il connaissait ce rictus pour lavoir vu sur son propre visage quand il vérifiait soigneusement dans la glace sil était bien rasé. Il ne put réprimer un sentiment de malaise en le voyant maintenant sur le visage dun autre. Quand on a toujours vécu avec ses enfants, on shabitue à ces ressemblances, on les trouve normales, et sil arrive quon les remarque, on peut même sen amuser. Mais cétait la première fois de sa vie que Tomas parlait à son fils! Il navait pas lhabitude de se trouver confronté à son propre rictus! Supposez quon vous ait amputé dune main pour la greffer à un autre. Et un jour, quelquun vient sasseoir en face de vous et gesticule avec cette main sous votre nez. Vous la prendrez sans doute pour un épouvantail. Et bien que vous la connaissiez intimement, bien que ce soit votre main à vous, vous aurez peur quelle vous touche. Le fils poursuivait : Mais tu es du côté des persécutés! Pendant toute la conversation, Tomas sétait demandé si son fils allait le vouvoyer ou le tutoyer. Jusquici, il avait tourné ses phrases de manière à ne pas avoir à choisir. Cette Depuis les années 1960, les modernistes ont souffert de plus en plus souvent, de la part des biographes et de loligarchie médiatique postmodernes, dostracismes, de procès sommaires, de conspirations du silence. Loubli sest abattu sur le grand roman prémonitoire dHermann Broch, Les Somnambules. Lestrapade biographique a été appliquée sous divers prétextes à Eliot, Cioran, Brecht, Bergman, Greene. Leur supplice public les a exposés tour à tour à une incroyable vindicte morale. Tandis quun plébiscite bien orchestré élève tous les jours sur le pavois du génie, par-delà le bien et le mal, les Armani et autres Michel-Ange du prêt-à-porter. milan kundera une rencontre download bibliothèque municipale ; surtout des romans : elle en lisait des tas, de Fielding à Thomas Mann. Ils lui offraient une chance dévasion imaginaire en larrachant à une vie qui ne lui apportait aucune satisfaction, mais ils avaient aussi un sens pour elle en tant quobjets : elle aimait se promener dans la rue avec des livres sous le bras. Ils étaient pour elle ce quétait la canne élégante au dandy du siècle dernier. Ils la distinguaient des autres. La comparaison entre le livre et la canne élégante du dandy nest pas tout à fait exacte. La canne était le signe distinctif du dandy, mais elle en faisait aussi un personnage moderne et à la mode. Le livre distinguait Tereza des autres jeunes femmes, mais en faisait un être suranné. Certes, elle était trop jeune pour pouvoir saisir ce quil y avait de démodé dans sa personne. Les adolescents qui se promenaient autour delle avec des transistors tonitruants, elle les trouvait idiots. Elle ne sapercevait pas quils étaient modernes. Donc, lhomme qui venait de lappeler était à la fois inconnu et membre dune fraternité secrète. Il parlait dun ton courtois, et Tereza sentit son âme sélancer à la surface par toutes ses veines, tous ses capillaires et tous ses pores pour être vue de lui. Il faut une grande maturité pour comprendre que lopinion que nous défendons nest que notre hypothèse préférée, nécessairement imparfaite, probablement transitoire, que seuls les très bornés peuvent faire passer pour une certitude ou une vérité. Télécharger Risibles amours pdf de Milan Kundera Il est possible, dit Tomas, quune chienne que ses maîtres appellent toujours dun nom de chien ait des tendances lesbiennes. Le plus curieux, cest que la prévision de Tomas se réalisa. Dordinaire, les chiennes sattachent davantage à leur maître quà leur maîtresse, mais chez Karénine cétait le contraire. Il décida de séprendre de Tereza. Tomas lui en était reconnaissant. Il lui caressait la tête et lui disait : Tu as raison, Karénine, cest exactement ce que jattendais de toi. Puisque je ny arrive pas tout seul, il faut maider. Mais même avec laide de Karénine, il ne réussit pas à la rendre heureuse. Il le comprit une dizaine de jours après loccupation de son pays par les chars russes. On était en août 1968, le directeur dune clinique de Zurich, dont Tomas avait fait la connaissance pendant un colloque international, lui téléphonait tous les jours de làbas. Il tremblait pour Tomas et lui offrait un poste. 3Dans les faits, Kundera mène le lecteur au gré de ses envies, le fait voyager dartistes en musiques, de romans en peintures qui lont interpellé. Plus que montrer un ou plusieurs aspects dune œuvre ou dun auteur, il partage ce quil a vécu de la culture, dans un style simple, léger et très personnel. Votre abonnement CANAL vous permet de bénéficier des contenus Télérama réservés aux abonnés. milan kundera une rencontre download La vitesse est la forme dextase dont la révolution technique a fait cadeau à lhomme. La Lenteur Saint-Germain ou de la République à la Bastille le fascinaient. La foule en marche scandant des slogans était pour lui limage de lEurope et de son histoire. LEurope, cest une Grande Marche. Une Marche de révolution en révolution, de combat en combat, toujours en avant. Je pourrais dire ça autrement : Franz trouvait irréelle sa vie entre les livres. Il aspirait à la vie réelle, au contact dautres hommes ou dautres femmes marchant avec lui côte à côte, il aspirait à leur clameur. Il ne se rendait pas compte que ce quil jugeait irréel son travail dans lisolement des bibliothèques était sa vie réelle, alors que les cortèges quil prenait pour la réalité nétaient quun spectacle de théâtre, quune danse, quune fête, autrement dit : un rêve. Sabina, au temps où elle était étudiante, habitait dans une cité universitaire. Le 1er mai, tout le monde était obligé de se rendre de bonne heure aux points de rassemblement du cortège. Pour quil ne manquât personne, des étudiants, militants rétribués, vérifiaient que le bâtiment était vide. Elle allait se cacher dans les toilettes et ne retournait dans sa chambre que lorsque tout le monde était depuis longtemps parti. Il régnait un silence comme elle nen avait jamais connu. De très loin lui parvenait la musique dune marche. Cétait comme dêtre cachée à lintérieur dune conque et dentendre au loin le ressac de lunivers hostile. Deux ans après avoir quitté la Bohême, elle se trouva tout à fait par hasard à Paris le jour anniversaire de linvasion russe. Une manifestation de protestation avait lieu ce jour-là et elle ne put sempêcher dy participer. De jeunes Français levaient le poing et hurlaient des mots dordre contre limpérialisme soviétique. Ces mots dordre lui plaisaient, mais elle constata avec surprise quelle était incapable de crier de concert avec les autres. Elle ne put rester que quelques minutes dans le cortège. Elle fit part de cette expérience à des amis français. Ils Aux Editions Gallimard LA PLAISANTERIE Nouvelle édition révisée. RISIBLES AMOURS Nouvelle édition.. 26 Lautocar sarrêta devant un hôtel de Bangkok. Personne navait plus envie dorganiser de réunions. Les gens séparpillèrent par petits groupes à travers la ville, quelques-uns pour visiter des temples, dautres pour aller au bordel. Son ami de la Sorbonne proposa à Franz de passer la soirée avec lui, mais il préférait rester seul. Le soir tombait et il sortit. Il pensait continuellement à Sabina et sentait sur lui son long regard sous lequel il commençait toujours à douter de lui-même, car il ne savait pas ce que Sabina pensait vraiment. Cette fois encore ce regard le jetait dans la confusion. Est-ce quelle ne se moquait pas de lui? Ne trouvait-elle pas stupide le culte quil lui vouait? Ne voulait-elle pas lui dire quil devrait enfin se conduire en adulte et se consacrer pleinement à lamie quelle lui avait elle-même envoyée? Il tenta dimaginer le visage aux grosses lunettes rondes. Il comprenait combien il était heureux avec son étudiante. Le voyage au Cambodge lui paraissait soudain ridicule et insignifiant. Au fond, pourquoi être venu jusquici? Il le savait à présent. Sil avait fait ce voyage, cétait pour comprendre enfin que sa vraie vie, sa seule vie réelle, ce nétaient ni les défilés ni Sabina, mais son étudiante à lunettes! Sil avait fait ce voyage, cétait pour se convaincre que la réalité est plus que le rêve, beaucoup plus que le rêve. Puis une silhouette émergea de la pénombre et lui adressa quelques mots dans une langue inconnue. Il la regardait avec une surprise mêlée de compassion. Linconnu sinclinait, souriait et ne cessait de baragouiner sur un ton très insistant. Que lui disait-il? Il crut quil le priait de le semblables. Tereza est forcée dêtre correcte avec les autres habitants du village, sinon elle ne pourrait pas y vivre, et même avec Tomas, elle est obligée de se conduire en femme aimante car elle a besoin de Tomas. On ne pourra jamais déterminer avec certitude dans quelle mesure nos relations avec autrui sont le résultat de nos sentiments, de notre amour, de notre non-amour, de notre bienveillance ou de notre haine, et dans quelle mesure elles sont davance conditionnées par les rapports de force entre individus. La vraie bonté de lhomme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté quà légard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de lhumanité le plus radical, qui se situe à un niveau si profond quil échappe à notre regard, ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. Et cest ici que sest produite la plus grande faillite de lhomme, débâcle fondamentale dont toutes les autres découlent. Une génisse sest approchée de Tereza, sest arrêtée et lexamine longuement de ses grands yeux bruns. Tereza la connaît. Elle lappelle Marguerite. Elle aurait aimé donner un nom à toutes ses génisses, mais elle na pas pu. Il y en a trop. Avant, il en était encore certainement ainsi voici une trentaine dannées, toutes les vaches du village avaient un nom. Et si le nom est le signe de lâme, je peux dire quelles en avaient une, nen déplaise à Descartes. Mais le village est ensuite devenu une grande usine coopérative et les vaches passent toute leur vie dans leurs deux mètres carrés détable. Elles nont plus de nom et ce ne sont plus que des machinae animatae. Le monde a donné raison à Descartes. Jai toujours devant les yeux Tereza assise sur une souche, elle caresse la tête de Karénine et songe à la déroute de lhumanité. En même temps, une autre image mapparaît : Nietzsche sort dun hôtel de Turin. Il aperçoit devant Cest la définition même d Une rencontre. Quest-ce lart? demande Kundera un peu plus loin dans le recueil à propos de Schönberg: tenir pleinement déployé léventail des sentiments et des réflexions. Ne pas oublier, ne pas se tromper de mémoire non plus. Une rencontre répond pour une part, de manière oblique, aux accusations auxquelles lauteur a été en butte en octobre 2008 cf. Article dAntoine Perraud. Il évoque ce temps où la mémoire, le devoir de mémoire, le travail de la mémoire étaient des mots-drapeaux. On considérait comme un acte dhonneur de pourchasser les crimes politiques passés, jusquà leurs ombres, jusquaux dernières taches salissantes. À ces directeurs de la mémoire, Kundera oppose la mémoire des textes, de la création, la nécessité de se souvenir des oubliés. 8 Tomas sétait mis à aimer Beethoven pour faire plaisir à Tereza, mais il nétait pas très féru de musique et je doute quil connût la véritable histoire de lillustre motif beethovénien muss es sein? es muss sein. Ça sétait passé comme ça : un certain Monsieur Dembscher devait cinquante forint à Beethoven, et le compositeur, éternellement sans le sou, vint les lui réclamer. Muss es sein? le faut-il? soupira le pauvre M. Dembscher, et Beethoven répliqua avec un rire gaillard : Es muss sein! il le faut, inscrivit aussitôt ces mots dans son calepin et composa sur ce motif réaliste une petite pièce pour quatre voix : trois voix chantent es muss sein, ja, ja, ja, il le faut, il le faut, oui, oui, oui, et la quatrième voix ajoute : heraus mit dem Beutel! sors ta bourse! Le même motif devint un an plus tard le noyau du quatrième mouvement du dernier quatuor opus 135. Beethoven ne pensait plus du tout à la bourse de Dembscher. Les mots es muss sein! prenaient pour lui une tonalité de plus en plus solennelle comme sils avaient été proférés par le Destin. Dans la langue de Kant, même bonjour, convenablement articulé, peut ressembler à une thèse métaphysique. Lallemand est une langue de mots lourds. Es muss sein! nétait plus du tout une plaisanterie mais der schwer gefasste Entschluss ; il le faut était devenu la décision gravement pesée. Beethoven avait donc mué une inspiration comique en quatuor sérieux, une plaisanterie en vérité métaphysique. Cest un exemple intéressant du passage du léger au lourd donc, selon Parménide, de changement du positif en 25 Jusquà la fin de ses jours, Sabina ne cessera de recevoir les lettres de ce triste épistolier villageois. Beaucoup ne seront jamais ouvertes, car le pays doù elle est originaire lintéresse de moins en moins. Le vieux monsieur est mort et Sabina est partie sinstaller en Californie. Toujours plus à louest, toujours plus loin de la Bohême. Ses toiles se vendent bien et elle aime bien lAmérique. Mais seulement en surface. Au-dessous de la surface, il y a un monde qui lui est étranger. Elle ny a sous terre ni aïeul ni oncle. Elle redoute de se laisser enfermer dans un cercueil pour descendre dans la terre dAmérique. Elle a donc rédigé un testament où elle a stipulé que sa dépouille doit être brûlée et ses cendres dispersées. Tereza et Tomas sont morts sous le signe de la pesanteur. Elle veut mourir sous le signe de la légèreté. Elle sera plus légère que lair. Selon Parménide, cest la transformation du négatif en positif. Littéral et figuré du mot lamour sexuel ne serait pas tel que nous le connaissons : accompagné dun martèlement du cœur et dun aveuglement des sens. Dans la troisième partie de ce roman, jai évoqué Sabina à demi nue, debout avec le chapeau melon sur la tête à côté de Tomas tout habillé. Mais il y a une chose que jai cachée. Tandis quils sobservaient dans la glace et quelle se sentait excitée par le ridicule de sa situation, elle simagina que Tomas allait la faire asseoir, telle quelle était, coiffée du chapeau melon, sur la cuvette des waters et quelle allait vider ses intestins devant lui. Son cœur se mit à tambouriner, ses idées se brouillèrent et elle renversa Tomas sur le tapis ; linstant daprès elle hurlait de plaisir. Le long comptoir de la réception, une porte donnait sur une alcôve où lon pouvait faire un somme sur une étroite couchette. Au-dessus du divan, il y avait des photographies encadrées : on le voyait toujours avec des gens qui souriaient à lobjectif ou lui serraient la main, ou qui étaient assis à ses côtés à un immense bureau et signaient des papiers. Sur une photographie bien en évidence, on reconnaissait à côté de la tête de lambassadeur le visage souriant de John F Kennedy. Ce nétait pas avec le président des Etats-Unis quil discutait ce soir-là, mais avec un sexagénaire inconnu qui se tut en voyant Tereza. Cest une amie, dit lambassadeur. Tu peux parler tranquillement. Puis, se tournant vers Tereza : Son fils vient.dêtre condamné à cinq ans, pas plus tard quaujourdhui. Elle apprit que, dans les premiers jours de linvasion, le fils de ce vieux monsieur surveillait avec des amis lentrée dun immeuble où était installée une section spéciale de larmée russe. Les Tchèques qui sortaient de là, cela ne faisait pour eux aucun doute, étaient des indicateurs au service des Russes. Il les suivait avec ses copains, repérait le numéro minéralogique de leurs voitures et les signalait aux journalistes dun émetteur tchèque clandestin qui avertissait la population. Il en avait rossé un avec laide de ses amis. Le vieux monsieur disait : Cette photo est la seule preuve matérielle. Il a tout nié, jusquau moment où on lui a présenté ça. Il sortit une coupure de presse de sa poche de poitrine : Ça a paru dans le Times à lautomne 1968. Sur la photo on voyait un jeune homme qui tenait un type à la gorge. Autour, des gens regardaient. Au-dessous de la photo on pouvait lire : Le châtiment dun collabo. 6 Bien entendu, Tereza ignorait lépisode de la nuit où maman avait chuchoté à loreille du plus viril des hommes de faire attention. Elle se sentait coupable, mais cétait une culpabilité indéfinissable, comme le péché originel. Elle faisait tout pour lexpier. Maman layant retirée du collège, elle travaillait comme serveuse depuis lâge de quinze ans, et, tout ce quelle gagnait, elle le lui remettait. Elle était prête à tout pour mériter son amour. Elle prenait soin du ménage, soccupait de ses frères et sœurs, passait tout le dimanche à gratter et laver. Cétait dommage, car au lycée cétait la plus douée de sa classe. Elle voulait sélever, mais pour elle, dans cette petite ville, où sélever? Elle faisait la lessive et un livre était posé près delle à côté de la baignoire. Elle tournait les pages et le livre était mouillé de gouttes deau. A la maison, la pudeur nexistait pas. Maman allait et venait dans lappartement en sous-vêtements, parfois sans soutien-gorge, parfois même, les jours dété, toute nue. Son beau-père ne se promenait pas tout nu, mais il attendait toujours que Tereza fût dans la baignoire pour entrer dans la salle de bains. Un jour quelle sy était enfermée à clé, maman fit une scène : Pour qui te prends-tu? Quest-ce que tu te crois? Il ne va pas te la manger, ta beauté! Cette situation montre on ne peut plus clairement que la haine de la mère pour la fille était plus forte que la jalousie que lui inspirait son mari. La faute de la fille était immense, même les infidélités du mari y étaient contenues. Que son mari lorgne Tereza, maman pouvait encore ladmettre, mais pas que sa fille veuille sémanciper et ose revendiquer des.